Accueil du site - Expertises CSE-SSCT - Quelques exemples - Le risque grave - Secours d’urgence Gaz : le temps de travail en astreinte porte atteinte à la vie familiale et à la santé des agents.

Résumé de l’expertise transmis aux agents. Dans une grande ville, le Secours d’urgence Gaz s’appuie sur une organisation du travail avec astreinte. Les agents sont placés sous astreinte pendant une période de deux semaines au cours desquelles ils travaillent pendant la journée, et peuvent être appelés pour des interventions sur "fuites" ou des "dépannages", en soirée, la nuit et même le week-end. La multitplication des appels qui ne sont pas filtrés, perturbe leur sommeil, leur vie familiale et leur Santé. De plus la récupération des heures passées en astreinte désorganise tous les plannings du service.

Le CHSCT du Service qualité Gaz (SQG) a pour mission de veiller à la prévention des risques professionnels dans l’établissement. C’est une mission qui concerne tous les aspects de la Santé au travail : pas seulement les accidents ou les maladies à caractère professionnel, mais aussi les facteurs de stress ou de souffrance qui altèrent la Santé au travail.

Le document qui suit est un résumé du rapport présenté au SQG d’une grande ville. Ce texte reprend les principaux résultats du rapport fait au CHSCT qui présente contient les tableaux de résultats de l’enquête.

La demande du CHSCT

La question posée par le CHSCT est la suivante :

"Est-ce que le fonctionnement actuel de l’astreinte a un impact sur la Santé des agents du SQG, est-ce que les deux scénarios proposés par la direction peuvent améliorer la situation, et de quelle façon ?"

Pour répondre à ces questions nous avons construit une enquête par questionnaire pour évaluer le rythme effectif de prise d’astreinte et la charge de travail en intervention d’urgence. Le questionnaire interroge aussi les interviewés sur les conséquences du fonctionnement actuel sur :
- leur vie familiale et personnelle
- les risques particuliers de leur métier et les moyens pour y faire face
- les troubles ressentis sur leur santé (sommeil, fatigue, irritabilité etc.) L’astreinte gaz, une contrainte qui varie selon la fonction 49 questionnaires ont été passés en face à face, en nombre à peu près égal sur deux agences, l’agence du Centre et celle des Quartiers.

Une astreinte inégalitaire

Les réponses sur le fonctionnement de l’astreinte montrent que sous le nom d’ "astreinte" il y a deux réalités bien différentes : les chargés d’intervention (agents d’exécution) ne subissent pas la même contrainte que les agents de maîtrise, que ce soit pour le nombre de tours effectués sur un an, le rythme de prise d’astreinte ou le nombre d’heures supplémentaires faites la nuit ou le week-end. Pendant la période d’astreinte, les chargés d’intervention sont beaucoup plus sollicités, de façon plus régulière et répétée pour intervenir en urgence, en soirée après les heures de travail, pendant la nuit et au cours de la journée du samedi.

Cette organisation du travail en astreinte n’est pas conforme à la définition donnée par la jurisprudence : en effet, selon cette définition, après leur journée de travail en heures normales, les agents devraient attendre chez eux un éventuel appel de leur employeur et non pas demeurer à sa disposition dans les locaux de l’agence ou dans le véhicule de service.

Le caractère volontaire ou involontaire de cette situation ne change en rien la requalification de cette période en temps de travail effectif. Ainsi l’horaire de travail effectif effectué par la plupart des agents chargés d’intervention placés sous astreinte est le suivant : Horaire journalier du mercredi au vendredi, puis du lundi au mardi : 7,78 heures normales +4 heures en soirée : 18-h à 22h =11,78 h consécutives Horaire du Samedi : 5-6 sorties régulières d’une heure à une heure et demie en moyenne. Temps de repos en astreinte effective (c’est à dire en demeurant chez soi avec la faculté de vaquer à ses propres occupations) : période de 23h à 9 h le matin du mercredi soir au mercredi matin suivant.

Pendant cette période d’astreinte qui revient 10 à 15 fois l’an selon les agents : Le temps de repos journalier de 11 h consécutives est régulièrement fractionné. Le temps de repos hebdomadaire de 48 h n’est pas garanti. Le nombre d’heures de travail hebdomadaire est supérieur au maximum légal fixé à 48 h. Les heures de repos compensateurs ne sont pas prises dans les délais légaux mais accumulées sur un compte épargne temps virtuel (nombre d’heures sup. à récupérer supérieur à 150 pour x% des chargés d’intervention).

Ces quatre indicateurs montrent que le fonctionnement actuel est dangereux pour la sécurité des agents chargés d’intervention (risques d’accident) et que le système doit être réformé.

Une organisation qui dérange la vie des familles

Il n’est pas surprenant de constater aussi que l’organisation actuelle de l’astreinte a des conséquences néfastes sur la vie familiale des agents d’exécution :

o Rupture de la communication familiale quotidienne (avec le conjoint et/ou les enfants) o Moindre suivi des activités scolaires. o Réveil nocturne répétés pour les conjointes o Perturbation du sommeil pour les enfants ou les proches, perturbations psychologiques chez de jeunes enfants. o Restrictions d’activités qui conduisent à "moins s’occuper des siens", à "moins travailler pour soi", "moins se distraire". o Trouble de la nutrition, repas décalés et tendance au grignotage se généralisent. o Trouble de la vie en couple : près de 1/3 des chargés d’intervention avouent "dormir seul dans une pièce isolée" quelquefois ou régulièrement.

L’organisation actuelle de l’astreinte porte donc atteinte à la tranquillité de leurs familles, à leur participation à la vie familiale, bref à leur droit d’avoir une "vie familiale normale". Ce droit est un droit fondamental de la personne.

Représentation des risques et "travail à 2"

Un second volet de l’enquête concerne la façon dont les agents se perçoivent en capacité de bien affronter les risques de leur activité Secours d’urgence Gaz. On peut faire l’hypothèse que les contraintes de l’astreinte seraient plus facilement supportées si les agents estimaient qu’ils disposent des moyens techniques et humains nécessaires pour faire face aux risques.

Les différentes questions posées sur le sujet montrent que les agents de maîtrise et ceux de l’exécution ont une représentation des risques du métier plutôt homogène : la plupart pensent faire "régulièrement ou parfois" "un travail dangereux pour eux même". De la même façon, ils trouvent dans leur expérience professionnelle, leur formation et les connaissances acquises, les ressources pour se sentir "paré face au danger". Par contre maîtrise et exécution divergent sur un facteur jugé le plus important pour leur protection : s’agissant des "dépannages", la maîtrise met en avant l’application de "procédures simples et claires", tandis que l’exécution privilégie le fait de "travailler à deux". Pas contre lors des interventions "sur fuites", la maîtrise ne valorise plus les "procédures simples et claires", tandis que les chargés d’intervention réitèrent leur choix de "travailler à deux". L’opposition entre les 2 catégories d’agents s’estompe lorsqu’ils évoquent les incertitudes particulières à l’activité "fuites" ; pour cette activité, les "procédures simples et claires" ne sont plus mises en avant par la catégorie maîtrise. Pour quelles raisons ?

Dans un premier temps on pourrait penser que les interventions "sur fuites" semblent plus dangereuses que celles "sur dépannage". Or nous avons vu que les représentations des risques des uns et des autres était relativement proches : ils s’accordent sur les risques encourus, et s’opposent sur la manière d’y faire face : "travailler à deux" ou faire confiance aux "procédures simples et claires".

Pour comprendre cette préférence pour "travailler à deux" il nous faut introduire une autre ligne de partage. Lorsque l’on compare les réponses des agents (maîtrise et exécution confondues) selon l’agence dans laquelle ils travaillent, on observe que sur l’agence Quartier nettement plus que dans celle du Centre, les agents disent exercer une "activité dangereuse pour eux-mêmes", et ils soulignent aussi sortir plus "régulièrement la nuit". De plus, interrogés sur la rétribution de leur travail, ceux de l’agence Quartiers sont plus nombreux que ceux du Centre pour souligner que leur rémunération ne compense pas les contraintes qu’ils subissent, tandis que les agents du Centre déplorent plutôt le blocage de l’évolution des salaires.

Si l’on compare le travail dans les deux agences, on retiendra que les risques liés au travail sur le réseau gaz semblent en tout point identiques, tandis que la situation socio géographique des périmètres d’interventions est différente selon chaque agence : ce qui différencie significativement les deux contextes d’intervention, ce n’est pas le risque lié à l’énergie, c’est le risque (réel et/ou imaginé) d’exposition aux agressions ou aux incivilités du public dans les quartiers défavorisés du nord de la cité.

De ce point de vue, les agents de l’exécution mettent en avant le "travail à deux" comme leur seul vrai recours, système de défense et de prévention, tandis que la maîtrise moins confrontée au public ne retient pas cette solution. (en particulier s’il y a d’autres intervenants sur place comme la police ou les pompiers). Chargés d’une mission de service public, nos interlocuteurs défendent une haute idée des valeurs attachées à leur activité : porter assistance et secourir les "clients" en panne, exposés à une fuite de gaz ou victimes d’un incendie est vécu comme un "devoir" lié à une fonction noble, (secourir, sauver des vies) qui transcende leur condition ouvrière. Se trouver en mauvaise posture, se faire agresser, être victime de quolibets ou d’injures, toutes ces situations sont vécues non seulement comme des atteintes à leur dignité ou à leur intégrité, mais aussi comme une remise en cause du système de valeurs qui porte leur métier et leur identité professionnelle. Nous pouvons faire l’hypothèse que ce qui fonde le ressentiment des agents de l’exécution de l’agence Quartiers, n’est pas tant le risque d’agression physique (réel mais tout de même limité) lié à ces interventions, que le besoin -aujourd’hui disputé par la direction- d’avoir un soutien moral et psychologique, indispensable pour se confronter chaque jour à des milieux sociaux perçus comme hostiles .

Le "travail à deux" est une protection qui offre deux formes de réassurance : celle du double contrôle qui évite les erreurs dans la résolution de problèmes professionnels (en particulier lorsqu’il s’agit de "fuites") et celle de ne pas rester sans voix face aux incivilités répétées sur ce secteur.

Des troubles de santé

L’enquête a démontré que l’astreinte pesait sur les relations familiales et provoquait des troubles de la santé. Elle a mis aussi en évidence que ces troubles ne produisaient pas directement de pathologies plus graves avec prises de médicaments, augmentation des arrêts maladie etc..

Les réponses faites par les agents sur la perception de leur propre Santé montre encore que les contraintes du service en astreinte ne pèsent pas du même poids sur la santé des exécutants et sur celle de la maîtrise. L’impact de l’astreinte est différent quant il s’agit des "troubles du sommeil", de la "fatigue continue", du sentiment d’être parfois "épuisé" etc., tandis qu’il devient assez inopérant pour les questions sur le "mal de tête" ou "la difficulté de communiquer" ou encore les troubles circulatoires. Les troubles vécus ne poussent pas encore les agents à faire usage de médicaments de leur propre chef (automédication) Ces réponses aux questions portant sur des pathologies ou des affections montrent une grande disparité des situations ce qui est un nouveau gage de la sincérité des réponses des personnes interrogées. Par exemple, le mal au dos est largement partagé par tous (maîtrise et exécution) . On observera encore que le fonctionnement de l’astreinte perturbe la nutrition des agents d’exécution en particulier pour le repas du soir. Cette perturbation déjà relevée a un effet déjà notable sur l’affection "bonne digestion" des personnes perturbées.

En dernier ressort si l’on classe les réponses selon le Nombre d’heures supplémentaires fait au cours de la dernière période, on observe que les réponses des agents (des deux catégories confondues) posent comme seuil d’apparition de ces troubles, la plage comprise entre 16 et 20h sup.

En-dessous de 16 h sup. par semaine les troubles ne sont pas retenus alors que au-dessus, la plupart des agents s’en souviennent et en tiennent compte dans leurs réponses.

Ce résultat permet de répondre directement à la question du CHSCT sur les conséquences du projet sur la santé des agents : l’organisation des tours d’astreinte devrait être refondée sur la base du respect des seuils nécessaires au repos journalier et hebdomadaire de agents : limiter le nombre d’heures supplémentaires effectuées à 16 h de manière ordinaire et à 20h de en cas d’événements exceptionnels, préserver le repos de 11 heures et la coupure de 48 heures entre deux périodes de travail de 5 jours.

Préconisations au CHSCT

L’organisation actuelle de l’astreinte mérite d’être réformée, à cause de la désorganisation qu’elle introduit dans le fonctionnement du service. Le projet de réforme préparé par la direction s’appuie sur la programmation répétée de 25 heures supplémentaires sur 10 semaines par an.

L’étude a montré : Une partie du temps d’astreinte (16h30 - 22h) n’est pas conforme à la définition légale du temps d’astreinte : attente à domicile avec réponse aux éventuels appels, ce qui n’est pas le cas. L’enchaînement et la répétition des interventions montre que cette période est un temps de travail effectif. Ces données sont corroborées par les statistiques d’intervention en fin de journée faites dans le service. Le faible effectif disponible (absences) conduit à faire effectuer aux agents d’intervention un nombre important d’interventions de nuit ou le week-end. La multiplication de ces interventions désorganise la vie familiale des agents et la coordination de leurs activités personnelles, ce qui porte atteinte aux libertés individuelles, en particulier au droit des agents de mener une vie familiale normale.

De plus, les agents d’intervention effectuent un nombre de tours d’astreinte plus élevé que la norme conventionnelle (10 par an) : de la sorte, le nombre d’heures effectué dans l’année est trop élevé en regard des contingents d’heures légaux et de l’accord local sur la réduction du temps de travail. Cette situation fait que les agents imputent sur un « compte épargne temps » virtuel (N d’heures sup. en stock) des temps de repos qui devraient être accordés au fur et à mesure des dépassements horaires. Le projet de changement proposé par la direction est bâti de façon à permettre aux agents d’effectuer 25 heures supplémentaires sur une période continue de 10 journées de travail successives. Or, les évaluations des conséquences sur la santé des agents faites dans l’étude, démontrent au contraire qu’il existe un seuil situé aux alentours de 16 heures supplémentaires par semaine qu’il est nécessaire de respecter pour maintenir dans des limites raisonnables les facteurs de stress qui affectent la vie des agents. L’instauration d’un seuil comme base de calcul de la charge de travail dans le service permettrait de maintenir des marges de manœuvre en cas d’événements imprévus pour lesquels des effectifs doivent être disponibles.

Le libre choix de recevoir soit la rémunération de tout ou partie des heures périodes travaillées, soit leur compensation en temps de repos en astreinte serait perçu comme la rétribution équitable d’une contrainte qui s’ajoute à la contribution fournie par chaque salarié au bon fonctionnement du service. L’instauration du retour d’expérience et la formalisation de cette expérience sont un enjeu de la représentation des risques et de l’harmonie des relations sociales. Le "travail à deux" est une pratique liée aux conditions d’intervention face aux incivilités des publics auxquels les agents sont confrontés de manière isolée.