Accueil du site - Etudes et recherche - Le temps de travail - Pourquoi travailler en 2x2x2 ?

Le CHSCT d’un établissement industriel a lancé une étude pour évaluer les conséquences sur la Santé de l’horaire 2x2x2. Le texte que l’on va lire est un résumé de l’expertise. Il a été transmis à tous les salariés de l’entreprise.

L’horaire 2x2x2 concerne plus de 1000 personnes de la production. En 1999, cet horaire à cycle court a été choisi parce qu’il apporte moins de troubles physiologiques à ceux qui le pratiquent : leur horloge biologique interne est moins perturbée qu’en 3x8 par exemple. Organiser la production avec cet horaire a été l’un des éléments décisifs du projet industriel fait à l’époque pour maintenir le site menacé de fermeture et pérenniser une partie des emplois. En effet, cet horaire donne une grande souplesse à l’organisation des équipes de travail.
Pourtant, au moment de cette restructuration, ceux qui ont du changer d’horaire l’ont mal vécu. Il ont le sentiment qu’on le leur a imposé et ils ne l’ont jamais vraiment accepté. Ainsi, l’enquête IFOP faite en juin 2001 a montré que 71% des salariés étaient « insatisfaits » de l’horaire contre 28% « satisfaits ». Depuis, beaucoup de gens se plaignent des difficultés (de santé, familiales etc.) auprès de leurs élus au CHSCT.

Le CHSCT lance une enquête

Pour le CHSCT, savoir si cet horaire a des conséquences sur la santé, sur la vie familiale et sociale des salariés, fait partie de sa mission : il doit s’informer sur ces sujets et donner son avis sur les conditions de travail pour proposer des pistes d’amélioration. Le CHSCT a fait appel à notre société, expert agréé pour l’étude des conditions de travail.
Notre équipe est constituée d’ergonomes, médecin du travail, sociologues. Pour comprendre les raisons de cette insatisfaction, nous avons mené une enquête approfondie non pas sur les opinions (pour ou contre l’horaire) mais sur les pratiques des salariés, sur leur vécu de l’horaire, sur la façon dont il se débrouillent pour l’accomplir, sur les difficultés qu’ils rencontrent pour organiser leur vie personnelle, etc.
Entretiens collectifs et individuels, avec des opérateurs, des techniciens, des managers et la direction, observation ergonomique des activités de production, tout cela nous a permis de recueillir la parole de plus de 200 personnes concernées par cet horaire, de connaître ce qu’ils vivent, au travail et dans leur vie quotidienne. Ce que maintenant nous allons en dire, traduit, pensons-nous, leurs préoccupations fortes, leurs attentes, leurs « bonnes raisons » d’être satisfaits ou insatisfaits.

Les résultats de l’enquête

Le rythme sans cesse décalé du cycle de travail pendant six jours consécutifs s’adapte difficilement avec celui de la vie familiale et sociale. En 2x2x2 le cycle tourne « en base 10 » (6 jours de travail et 4 jours de repos) quand la vie quotidienne de leur entourage tourne sur 7 jours. Ceux qui font le 2x2x2 se retrouvent souvent à contretemps des rythmes sociaux.

Des rythmes désaccordés de la vie familiale et sociale

Pratiquer un sport, aller en famille à un mariage, préparer un anniversaire, organiser les vacances, suivre le travail de ses enfants, sortir ou inviter ses amis etc., tous ces événements de la vie quotidienne obligent les salariés en 2x2x2 à faire des acrobaties avec leur calendrier. Ils doivent : « prévoir 2 mois à l’avance », « reporter les dates », « poser des jours de congés », « s’efforcer de ne pas dormir », « prendre sur soi », « laisser les enfants seuls », pour maintenir des relations avec leur proches ou avoir des activités en dehors du travail.
Selon son âge, sa situation familiale, ses goûts, tout le monde ne vit pas cet horaire de la même façon. Les plus âgés (36-45 ans ou + de 45 ans), sont les plus impliqués par la vie en famille avec des enfants ; ils sont ceux qui en souffrent le plus : troubles du sommeil, fatigue constante, fragilité psychologique et affective. Les plus jeunes, encore célibataires ou vivants en couple sans enfants, s’en sortent mieux : certains trouvent dans ce mode de vie, plus de temps libre, même s’ils se sentent parfois fatigués. Jeunes ou plus âgés, tous expliquent comment la vie au travail impose son rythme à leur vie personnelle ; beaucoup s’étonnent de se sentir « à bout de course » tous les deux ou trois mois.

Une fatigue accumulée

Pour « rester en forme » pendant un cycle, il faut pouvoir « récupérer » pendant les 6 jours de travail et aussi pendant la période de repos de 4 jours. Or, la plupart de nos interlocuteurs remarquent que la première journée de repos en fin de cycle de travail, après la deuxième nuit, est une journée « foutue ». Leur « nuit » de sommeil commence entre 7 et 9 heures du matin et se termine entre 11h30 et 13h30. Ils se sentent ensuite « KO » pour le reste de la journée. Pourtant, il faut aller chercher les enfants à l’école, suivre les devoirs, préparer les repas, etc. Beaucoup s’interdisent de dormir, pour revenir en phase avec le rythme de la vie familiale.
Lorsque le cycle de travail redémarre, la dernière nuit de repos est écourtée ; la plupart disent avoir du mal à s’endormir, avoir un sommeil haché ; il y a l’inquiétude du retour au travail, comme lorsque l’on doit « prendre le train le lendemain ». Cette fragilité du sommeil est rapportée à la qualité du repos pris pendant les 4 jours, à la situation de ces jours de repos dans le cours de la vie familiale. Les week-ends en famille sont rares alors qu’ils seraient les plus réparateurs.
La fatigue s’accumule au cours du cycle et d’un cycle sur l’autre : certaines personnes sont fatiguées lorsqu’elles reprennent le travail mais aussi pendant les jours de repos : « on a toujours envie de dormir quelque soit le moment » dit l’un, « travailler les 6 jours d’affilée, c’est long, trop de fatigue, ce qui use c’est l’irrégularité du rythme », souligne un autre.

Lorsque la fatigue s’accumule, un mal-être s’installe qui perturbe à son tour les relations familiales et sociales.

Un sentiment de « ne plus avoir envie de rien »

Le cycle travail repos de 10 jours imbrique vie au travail et vie personnelle de façon étroite et les rend dépendantes l’une de l’autre : fatigue ou dette de sommeil ont leurs effets sur les relations familiales et sur les activités personnelles. L’accumulation de fatigue, le manque de repos conduit à une forme de fragilité affective et psychologique. Certains se sentent devenir « irritables », « impatients », « au travail et à la maison », ce qu’ils observent comme un désintérêt à l’égard de leur travail ou comme un « épuisement du plaisir de la vie ».
Mais une fois les ressources épuisés les salariés prennent sur eux ce qui entraîne une certaine irritabilité au travail et au sein de leur famille, mais aussi une démotivation : « je n’est envie de rien faire, j’ai arrêté le bricolage, le sport », un autre affirme « on n’a plus goût à la vie, on s’énerve pour rien » et d’autres n’ont plus le temps, voire même l’énergie de se consacrer à leurs passions. Les célibataires n’ont pas l’envie de rencontrer quelqu’un d’autres : « je passe mon temps à dormir comment voulez vous que je me mettent avec quelqu’un », un je « m’enfoutisme » s’installe chez certains salariés.
Pour combattre cette accumulation de fatigue, nombreux sont ceux qui se sentent obligé de prendre des congés ou de se mettre en arrêt maladie pour se ressourcer. Un manager avec trois enfants ayant tout à fait adapté sa vie personnelle à ses horaires nous explique qu’il est obligé de prendre chaque trimestre une semaine de repos sur ces congés pour pouvoir récupérer et non pas pour les passer en famille.
D’autres ne supportant pas les nuits prennent leur congés pour ne pas faire les nuits ou pour avoir des week-ends.

La fatigue accumulée ne laisse pas beaucoup d’énergie pour faire face aux activités familiales :
« Il y a un décalage par rapport à la vie de famille, c’est la course toute la journée, le premier jour de repos on est décalqué , c’est un gros problème avec les enfants et le mari , je suis bien seulement le dernier jour de repos, même 15 jours de vacances ne suffisent pas pour récupérer. L’année dernière j’ai passé 15 jours à dormir » affirme une opératrice

La vie de couple devient difficile, elle est parfois même menacé. Beaucoup de couple se croisent, les week-ends en famille reste rare, et les rapports relationnelles et communicationnelle sont souvent distant :

« Au moment où je veux avoir un moment avec elle, elle est fatiguée, c’est difficile à vivre, plus de câlins moins d’affections, ça se répercute aussi sur les enfants : ils ne me demandent même plus de les aider, je suis impatient avec les enfants je suis plein d’amertume » affirme un technicien.

Le recours au calmant ou au somnifères ou autres médications pour combattre les troubles du sommeil, les migraines et les troubles digestifs etc. sont utilisés par les salariés. Nombreux sont ceux qui refusent avoir recours à la prise de médication.

Ces constats succincts annoncent les difficultés quotidiennes mais aussi les conséquences physiologique et psychologiques vécus par les salariés travaillant en horaire 2x2x2.

Quelles questions l’enquête a-t-elle éveillées ?

Ces constats ont suscité des questions concernant le nombre de jours de repos accordé aux salariés, et la qualité de ces jours de repos ce qui semble expliquer le phénomène d’endettement de sommeil et de fatigue persistante chez les salariés travaillant en horaire 2x2x2.

Le nombre de jours de repos des salariés en 2x2x2 est désavantageux par rapport aux salariés travaillant en horaires normal :

En considérant le jour suivant une nuit de travail comme n’étant pas un jour de repos les salariés en 2x2x2 disposent de 7 jours de repos de moins que les salariés en horaire normal. On constate que le différentiel de jours de repos supplémentaires accordés en 2x2x2 par rapport à l’horaire normal (+ 26 jours) ne compense pas les 33 jours de repos tronqués consécutifs aux nuits de travail effectués dans une année.
Même les plus de 45 ans qui bénéficient de quatre jours supplémentaires de repos restent en déficit de trois jours pour compenser le nombre de jours de « descente » dans l’année (la journée de descente correspondant au premier jour de repos).

La valeur sociale du temps libre des salariés en 2x2x2 est différente de celle d’un salarié en horaire normal.

Un jour de repos le week-end partagé en famille n’a pas la même valeur qu’un jour de repos partagé seul en pleine semaine. Une nuit passé en pleine journée n’est pas de la même qualité qu’une nuit passé avec sa femme après une longue journée de travail. De toute évidence, la valeur sociale et la qualité du temps libre de ceux qui travaillent en horaire continus n’est pas équivalente à celle de ceux qui travaillent en horaire normal.
Les activités effectués par les salariés en horaires 2x2x2 perdent toutes spontanéité vu qu’elles doivent souvent être prévu à l’avance, surtout les rencontres entre amis ou les sorties en famille.
Une mobilisation des ressources personnelles, familiales et sociales s’imposent : les grands parents doivent souvent garder les enfants, des nourrices à prévoir à des horaires atypiques sont plus chères..., l’entourage du salarié doit s’adapter aux horaires 2x2x2 et des mobilisations extérieurs sont souvent à prévoir, ces horaires monopolise donc toute une famille directement ou indirectement. Ceux qui ont moins de ressources personnelles ou des difficultés à s’en procurer aggrave les inégalités devant la santé au travail.

Le déficit en jours de repos et la « mauvaise » qualité des jours de repos expliquent la fatigue persistante, le désaccord des horaires avec la vie familiale et sociale impliquant des problèmes de couples et d’irritabilités fortement relevé chez nos interlocuteurs. On peut ainsi dire que ces problèmes touchent la santé au travail.

Vers une amélioration des conditions de travail des salariés.

Pour remédier aux conséquences des horaires 2x2x2 sur la santé et la vie familiale et sociale des salariés un rééquilibrage des contributions individuelles et collectives pour un partage plus équitable des ressources nécessaires pour tenir l’horaire en faveur des salariés est incontournable.

La première étape est une remise en débat du nombre de jours de repos et de week-ends compte tenu des données apportées à l’occasion de l’expertise.

Il s’agit ensuite de trouver dans l’entreprise de nouvelles ressources et de les répartir en faveur des collectifs de salariés qui en ont le plus besoin : (crèches, collectifs de nourrices, aide pour la garde des enfants, soutien à domicile pour les tâches ménagères, soutien psychologique en direction des salariés et de leur famille etc.)