Accueil du site - Publications - Presse - Un ingénieur INSA aux prises avec la prévention des risques professionnels

Aujourd’hui l’auteur est intervenant en prévention des risques professionnels (IPRP) pour un service de médecine du travail, ainsi que ingénieur- expert prévention pour Socialconseil.

Les risques professionnels ont une histoire

Avant de témoigner sur ce métier, j’ai été frappé de lire qu’un médecin italien, RAMAZZANI, décrivait dans son ouvrage en 1701, les maladies de plus de cinquante professions. Il notait qu’elles sont liées à la mauvaise qualité des substances que ces ouvriers employaient. Il supposait encore que la cause de leurs maux pouvait être "rapportée aux mouvements violents et déréglés… qu’ils donnent à leur corps". Enfin, il y a plus de 300 ans, il concluait déjà : -"Aux questions que l’on pose habituellement au patient, qu’il me soit permis d’ajouter la suivante, "-Quel est le métier du malade ?".

Plus proche de nous, le docteur VILLERME, après avoir exercé comme chirurgien et médecin dans la Grande armée de Napoléon, s’intéressait à l’état physique et moral des ouvriers employés dans les manufactures. Convaincu que leurs maladies étaient la conséquence des conditions de travail épuisantes qu’ils subissaient dès leur plus jeune âge, il rédigea plusieurs mémoires pour alerter les autorités. Son action aboutit à la première loi de protection des enfants au travail (22 mars 1841).

Le système actuel de prévention des risques professionnels résulte des avancées successives permises dans l’Etat providence de la fin du XIXème siècle jusqu’à nos jours. Cela débute historiquement avec la loi sur la réparation des accidents du travail (1898) et la création à la même époque du corps de l’inspection du travail. Le dispositif de réparation se généralise avec l’unification en 1946, des caisses d’assurances sociales dans un organisme général de sécurité sociale, puis l’instauration de la médecine du Travail, et enfin l’institution dans les entreprises d’un acteur de prévention interne, le comité hygiène et sécurité.

Depuis la fin des années 80 la réglementation pour la protection de la santé des salariés résulte de la transposition des directives sociales européennes et notamment de la directive cadre du 12 juin 1989 transposée en droit français par la loi du 31 décembre 1991 avec :
-  Les principes généraux de prévention
-  L’évaluation des risques (document unique du décret du 5 novembre 2001).
-  La pluridisciplinarité (La Médecine du Travail devient Santé au Travail par la loi du 17 janvier 2002. Pour mettre en œuvre la pluridisciplinarité, les services de Santé au Travail font appel à des IPRP (intervenants en prévention des risques professionnels) par le décret du 24 juin 2003.

Comment devient-on préventeur ?

En 1977, je suis entré dans l’entreprise de travaux publics PICO, où j’ai d’abord travaillé sur des chantiers de génie civil, le plus souvent destinés à des installations pour le compte de l’EDF. Dans ce contexte, j’ai été vite enclin à penser aux dispositifs de prévention des risques dès la phase de la conception des ouvrages. La sécurité, partie intégrante du travail, était prise en compte dès les études et intégrée aux méthodes d’exécution.

Entré ensuite au bureau d’études de l’entreprise, j’ai conçu et développé en métropole et dans les Dom-Tom, un procédé de soutènement de talus, le mur anti-bruit absorbant "Delta", qui rencontra un certain succès. Après 20 ans de carrière et d’expériences enrichissantes dans le groupe PICO (devenu PICO-RAZEL), j’ai du me reconvertir dans le métier d’ingénieur de prévention, à l’heure de la mise en œuvre des lois issues des directives sociales européennes.

Depuis deux ans, je travaille à temps partiel, dans un service de médecine du travail où les adhérents sont des entreprises du BTP. Je suis chargé d’aider les médecins du service dans leur mission de prévention pour l’analyse technique des postes de travail afin de poser un regard global sur les conditions de travail : techniques utilisées, organisation du travail et facteurs de risques.

Tous les médecins du travail, en plus de l’examen médical périodique des salariés, assurent pour 1/3 de leur temps, des visites d’ateliers ou de chantiers. Ce travail de terrain, de visite et d’observation des postes de travail, leur donne à voir les conditions réelles d’activité et leur permet d’identifier ou de suspecter les facteurs de risque pour la santé des salariés.

En cas de besoin, ces médecins ont la faculté de faire appel à un intervenant spécialisé de prévention (l’IPRP que je suis devenu) pour compléter leur bilan prévention et proposer des améliorations des postes de travail à la direction de l’entreprise. Il peuvent aussi agir dans le cadre de campagnes de sensibilisation sur des thèmes choisis tels, par exemple, le risque poussières de bois ou le risque de travaux sur terrains pollués…

Trois exemples d’actions pratiques d’analyse des risques :

1. Exposition à la silice. Action isolée.

A la suite de la visite d’une fabrique d’enduits de façade, l’un des médecins constate un risque lié aux poussières siliceuses. Les différents composants : sable de silice, sable calcaire, ciment, chaux, colorants et adjuvants sont mélangés à sec dans un malaxeur puis mis en sacs et palettisés. Ce mode opératoire génère beaucoup de poussières. En accord avec le chef d’entreprise, il propose de faire des prélèvements sur les salariés. Je suis chargé de faire les mesures. A ma demande, les salariés sont équipés d’un capteur de poussières CIP 10 pendant une journée de travail. Ce capteur, permet de mesurer le taux de poussières alvéolaires (diamètre inférieur à 10 microns) et le poucentage de silice dans les poussières prélevées. Je transmets ensuite pour analyse, les prélèvements effectués, à un laboratoire agréé pour ce type de mesures. Pendant le prélèvement l’activité des salariés est observée, décomposée et analysée.

Cette analyse permet de faire un point détaillé sur le risque poussière, mais aussi la manutention, le bruit (mesure au sonomètre), l’éclairage (mesure au luxmètre), le risque chimique (à partir des fiches de données de sécurité), les chutes de plain-pied ou de hauteur, ainsi que la conformité du matériel de travail l’organisation de l’atelier, les circulations, etc. Les résultats des mesures et nos observations montrent que le poste de travail doit être entièrement répensé et que des mesures de contrôle d’empoussièrement seront prévues pour valider la nouvelle installation.

2. Exposition aux poussières de bois. Action programmée.

Suite au renforcement de la réglementation vis-à-vis des poussières de bois classées cancérigènes de catégorie 1, une campagne de diagnostic et de mesures a été programmée auprès des adhérents menuisiers, ébénistes ou charpentiers depuis deux ans. J’ai la charge de réaliser le diagnostic technique : diagnostic de l’atelier et conformité des machines, du choix du matériel nécessaire aux prélèvements. (Pompes de prélèvement, débitmètre, porte filtres).

En quelques mois, j’ai eu à visiter une quarantaine de menuiseries. Ensuite nous avons organisé une réunion, au début 2007, afin de présenter aux professionnels concernés une première synthèse de l’action menée.

Le but ce de genre d’initiative est de leur faire prendre conscience de l’importance des risques et de les aider à trouver des solutions pour améliorer les postes de travail dans leurs ateliers. Le concours des fabricants et fournisseurs de matériels est sollicité pour étayer le conseil, car certains problèmes sont complexes à résoudre : choix des machines et des protecteurs, de l’aspiration générale, des méthodes de travail (ponçage, collage, matériaux utilisés)…

3. Travaux sur sites pollués : Expositions au benzène et dérivés aromatiques.

Le service de Santé au Travail a été sollicité par une entreprise de travaux publics qui doit intervenir sur un site pollué. Il s’agit d’évaluer les risques liés à différents produits toxiques présents dans les terres qui seront déplacées par la réalisation d’un projet routier. Les polluants identifiés sont d’une part les hydrocarbures (mélange de gasoil et d’essence) issus d’un pipe line fuyard en 2003, d’autre part du PCB (polychlorobiphényle) ou "pyralène" résultant d’un dépôt sauvage. Je suis chargé des prélèvements sur opérateurs à l’aide de tubes de charbon actif pour la mesure des BTEX (Benzène, Toluène, Ethylbenzène, Xylène) et des hydrocarbures aliphatiques totaux dans la branche C6-C12 ; L’équipe médicale procède parallèlement à une analyse d’indicateurs biologiques dans les urines : Acide muconique pour le benzène, acide hippurique pour le toluène.

Toutes les valeurs relevées ont été comparées aux indices biologiques d’exposition mais sont toujours restées normales. Cette étude a permis de rassurer des salariés inquiets face à des risques nouveaux que l’on ne sait pas précisément évaluer sans mesures.

En résumé, l’activité de prévention dans un service médical est une mission de terrain, tournée essentiellement vers les petites entreprises qui n’ont pas de service de prévention interne ni de CHSCT. Chaque étude fait l’objet d’un rapport écrit et d’un suivi, soit par moi, soit par le médecin. Quand aux salariés, ils sont vus au moins une fois par an, ce qui permet aussi de faire le point sur la réalité des changement entrepris en matière de prévention. Travailler ainsi, en équipe, de façon pluridisciplinaire, nous permet de restituer une étude complète sans équivoque, avec une traçabilité et un suivi de qualité de l’exposition des salariés concernés. Le but de la mise en commun des expériences est aussi de concevoir des guides de "bonnes pratiques" à destination des professionnels de la branche concernée.

Conclusion : la prévention est-elle un métier d’ingénieur ?

Le métier de préventeur est un métier à la fois passionnant mais frustrant. C’est un métier de terrain, vivant et varié où l’on apprend tous les jours. On dialogue aussi bien avec le patron qu’avec le manœuvre. Pour faire un diagnostic précis, il faut souvent apprendre en détail un nouveau métier. On est à la croisée des disciplines techniques, sociales et juridiques. C’est aussi un métier parfois frustrant car on ne sait pas en évaluer de manière tangible les résultats. Combien de maladies ou d’accidents évités ?

L’atout essentiel de l’ingénieur est son regard généraliste qui lui permet d’avoir une approche globale du processus de travail. Quelle que soit l’origine de l’intervention (poussières, bruit, lombalgie…), la solution passe généralement par une étude complète du processus de travail : Analyse de toute la chaîne, des matières premières au produit fini en vérifiant à chaque étape l’adéquation entre les moyens, la finalité recherchée et l’adaptation à l’homme, à la préservation de sa santé. Avec du recul il est possible de faire une évaluation fiable de la maîtrise des risques dans l’entreprise, des domaines à améliorer et des priorités d’action. On dispose maintenant d’outils d’aide à l’évaluation, notamment les publications techniques de l’INRS ainsi que d’appareils de mesure de plus en plus performants. (Enregistrements en continu du bruit, des poussières, des polluants chimiques par des capteurs portés par les salariés). L’ingénieur peut donc constituer un dispositif de mesure de l’exposition du salarié selon son activité réelle, plus précise que la mesure de la pollution du milieu environnant. Reste à l’ingénieur de prévention à faire reconnaître toute la valeur de son expertise dans le monde de la santé au travail.

A visiter :

Enquête SUMER (SUrveillance MEdicale des Risques) Cette enquête, est réalisée par les médecins du travail, lors des visites périodiques des salariés. Il s’agit d’un baromètre précis du travail réalisé par près de 1800 médecins du travail sur un échantillon représentatif de 50.000 salariés. Après l’enquête de 1994, et celle de 2003, la prochaine enquête sera réalisée en 2008 et 2009. Pour plus d’informations : www.travail.gouv.fr (études/stat./santé au travail/sumer)