Accueil du site - Publications - Presse - Opéra national de Paris : Un duo de choc pour orchestrer la prévention."

Suite à des cas de harcèlement moral, les élus des CHSCT de l’Opéra national de Paris ont commandé une expertise dont le rapport confirme une souffrance au travail des salariés tant dans les ateliers de Bastille qu’au service machinerie de Garnier et à l’Ecole de danse. Celuici a été remis en cause par la direction

Loin des projecteurs, les membres des deux CHSCT de l’Opéra national de Paris œuvrent en coulisse pour l’amélioration des contions de travail. Avec succès, malgré un climat tendu. Confrontés à des plaintes de harcèlement moral, les élus ont ainsi été amenés à lancer une expertise sur le sujet. Contestée par la direction, celle-ci a néanmoins permis de libérer la parole des salariés.

L’ institution CHSCT avait disparu à l’Opéra national de Paris. Et il aura fallu un drame, lors d’une tournée à Séville en 1992, pour qu’elle renaisse. L’effondrement d’un élément de décor avait fait un mort et 44 blessés. « La direction, à l’époque a osé accuser le CE de ne pas avoir constitué le CHSCT mais la faute inexcusable de l’employeur a été retenue par le juge », déclare Pascal Bourasseau, secrétaire CGT du CHSCT de l’Opéra Bastille. Après sa condamnation, l’Opéra a finalement mis en place en 1995 deux CHSCT : un pour l’Opéra Bastille, l’autre pour l’Opéra Garnier, les ateliers du boulevard Berthier et l’Ecole de danse de Nanterre. Soit 1 500 salariés permanents et des milliers d’autres représentant l’équivalent de 400 à 500 salariés à plein temps, l’ensemble appartenant à quelque 90 métiers différents. Les 16 élus, répartis sur quatre sites et astreints à des horaires de travail différents, éprouvent néanmoins des difficultés à se voir. Des difficultés qu’ils attribuent en partie à l’attitude de la hiérarchie. « Certains subissent des pressions pour ne pas prendre leurs heures de délégation ou bien ne peuvent les prendre du fait de l’organisation du travail ou du manque d’effectif », dénonce Pascal Bourasseau. Les élus reprochent aussi à la direction de garder pour elle des informations, notamment sur les accidents du travail. « La direction minimise systématiquement les risques », affirme Gwénael Leclerc, secrétaire adjoint Sud du CHSCT Bastille.

Un climat tendu

DRH en fonction depuis avril 2002, Dominique Legrand réfute ces accusations mais confirme de « fortes » tensions sociales dans l’entreprise. Ce climat n’empêche pas les deux CHSCT de fonctionner : réunions bimensuelles entre élus à l’heure du déjeuner, réunions « préparatoires » avant les séances plénières, procèsverbal intégral de chaque plénière avec copies adressées à la médecine du travail, à l’Inspection du travail, à la Cramif... Le CHSCT effectue des visites dans tous les services - « sans prévenir », déplore Dominique Legrand - et il exige des plans de prévention en cas de recours à la sous-traitance. Il veille aussi au travail sous les cintres, sur scène.

A la suite de la chute d’un pont lumière à Bastille l’an dernier, une procédure d’alerte a ainsi été déclenchée pour danger grave et imminent avec expertise réclamée à l’Apave. Celle-ci a permis de renforcer les systèmes de freinage des charges en hauteur. Les élus ont aussi demandé des formations « gestes et postures » pour les machinistes, menacés de troubles musculo-squelettiques (TMS). Pour Pascal Bourasseau, ces problèmes proviennent d’une stratégie productiviste « forcenée » de l’Opéra. Cette stratégie s’est traduite par la production de 22 % de spectacles de plus en 2002 qu’en 1995 mais aussi, selon lui, par une hausse de 38 % des arrêts de travail, hors maternité et accidents du travail. D’après les élus, l’intensification du travail n’épargne pas les artistes. Des danseurs répètent parfois deux spectacles le même jour tout en assurant des représentations. Plusieurs, à 35 ans, ne seraient déjà plus en état de poursuivre leur carrière jusqu’à son terme. Les élus envisagent d’ailleurs de poser le problème de l’inaptitude et des reclassements à une prochaine réunion. Ils s’insurgent également contre la précarisation des emplois avec la création d’un atelier « volant » et le recours extensif aux CDD « d’usage » (1) .

Cette stratégie productiviste s’est aussi accompagnée, selon les élus, d’« une politique disciplinaire musclée » du nouveau directeur. Ils racontent ainsi avoir été alertés, dès la fin 2000, sur des cas de harcèlement moral. Plusieurs salariées de l’atelier couture-costumes, à l’Opéra Bastille, se plaignaient de l’attitude de leur hiérarchie. Selon leurs témoignages, la chef de service avait fait installer des miroirs et interdit de fermer les portes coupefeu, ce qui lui permettait un contrôle permanent de toutes les couturières. Un décompte tatillon du temps passé sur chaque costume avait été établi, et la responsable aurait quasiment interdit les conversations entre collègues et les communications téléphoniques. La libre circulation des représentants du personnel était entravée. Les travaux de couture les plus intéressants partaient à l’extérieur. Courriers et sanctions avaient commencé à pleuvoir...

Avec l’aide du CE, des salariés ont alors été dirigés vers un avocat spécialisé. Et les élus du CHSCT de l’Opéra Bastille ont réclamé une réunion extraordinaire pour discuter « des informations relatives aux conditions de travail du personnel dans ses relations avec la hiérarchie » sans imaginer, à l’origine, d’éventuelles conséquences sur la santé des salariés. Ces conséquences, c’est la médecin du travail, la Dre Martine Millet, qui les a évoquées. Citée dans le compte-rendu, elle signale des vomissements et troubles du sommeil chez des salariés se déclarant harcelés. Le CHSCT lui a dès lors demandé un rapport détaillé. De son côté, après divers courriers et tracts, la CGT a appelé à une grève en 2001 en raison de l’absence de réponse de la direction face à « un dysfonctionnement persistant et à une ambiance de travail délétère ».

Alertée, l’Inspection du travail est venue effectuer une visite. Elle a relaté des témoignages de restrictions des libertés individuelles à l’atelier couture et de pressions altérant la santé physique et mentale de salariés. Finalement, le 21 mars 2002, les deux CHSCT adoptaient à l’unanimité une délibération désignant Social conseil pour une expertise sur les conditions de travail, la mise en place d’une écoute des salariés et une aide à l’élaboration de propositions de prévention.

Dans leur rapport, les intervenants ont confirmé une souffrance au travail des salariés tant dans les ateliers costumes et perruquemaquillage de Bastille qu’au service machinerie de Garnier et à l’Ecole de danse. Un rapport remis en cause par la direction. Celle-ci conteste tout harcèlement moral et note que les faits remontent à deux ans. Elle a engagé une action judiciaire contre Social conseil, reprochant à l’expert de ne pas avoir rempli correctement sa mission. On attend donc que la justice tranche.

Des avancées

"Cette expertise a permis d’enrayer les dérives disciplinaires" se félicite pourtant Pascal Bourasseau, en signalant de « nombreuses » actions devant les prud’hommes. « Une seule pour harcèlement moral et, encore, comme motif secondaire », répond le DRH. L’expertise a aussi permis de libérer la parole, selon Philippe Boissier, membre CGT du CHSCT de Garnier. Il souligne que désormais « des problèmes de harcèlement et autres sont signalés aux délégués du personnel qui font remonter l’information ». En revanche, les représentants du personnel n’ont pas obtenu la Commission paritaire de prévention du harcèlement qu’ils demandaient. Gwénael Leclerc regrette que la médecine du travail, qui « a reconnu le malaise », « reste peu active sur le sujet ». « Je ne peux intervenir sans l’accord du salarié », se défend la Dre Martine Millet. « Il y a eu des choses mais cela va mieux maintenant », précise-t-elle. Les élus ont en outre dénoncé l’augmentation des consommations de tabac, d’alcool et d’antidépresseurs liée, à leur avis, à la dégradation des conditions de travail. Là encore, leur divergence de vue avec la direction est totale. Selon les élus, celle-ci ne voit dans ces problèmes que des comportements individuels, éventuellement susceptibles de sanctions, mais élude les questions sur l’organisation du travail et les risques encourus par les salariés concernés et leurs collègues.

En revanche, une expertise « risque chimique », également commandée à Social conseil en 2002, a permis d’avancer rapidement. Le constat était édifiant. Méconnaissance des risques et de l’utilisation des protections individuelles. Absence de ventilation dans des espaces confinés. Déficit d’armoires de stockage sécurisé pour les produits dangereux. Non-communication des fiches de données de sécurité. Carences dans la signalétique... « Nous sommes dans une entreprise culturelle », plaide la médecin du travail avant de se féliciter du travail fait depuis l’expertise : « Nous disposons désormais d’un responsable de sécurité et d’un ingénieur chimiste qui a établi des fiches de données de sécurité et doit faire l’inventaire des produits CMR (2) . » « L’Opéra était en retard, je l’ai mis en conformité », reconnaît sobrement Dominique Legrand.

(1) Dans le secteur des spectacles, les entreprises peuvent conclure des CDD pour les emplois pour lesquels il est d’usage constant de ne pas recourir au CDI.

(2) Cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction.

Pièces jointes